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Revue Céramique et Verre N° 113 janvier/février 2000

Eric lindgren est un verrier du nord installé au pays des oliviers. Ses pièces soufflées avec virtuosité racontent un monde mythique où il nous convie à entrer.

Bâtie comme une ruche couverte d'un toit provençal, la verrerie de Claret, petit village à quelques quarante kilomètres au nord de Montpellier, promet à ses visiteurs le spectacle « magique » du soufflage et sa manne de cadeaux souvenir. Mais la surprise, à l'intérieur, est de taille. Pas de petites bulles inspirées de Biot, de photophores pour soirées à moustiques ou de pots pourris aux écorces d'agrume. Sur les étagères transparentes se décline en gammes fraiches à l'oeil toute une ligne d'objets de table au design discret...Coupes, plats, pichets, saladiers, verres à boire de couleur franche et acidulée, striés d’un graphisme léger ou cerné d'un mince liseré. La tradition nordique est passée par là. Eric Lindgren, le bon géant qui officie derrière les fours, est suédois. Depuis 1994, il possède son atelier baptisé Clair de verre dans la verrerie de Claret qui accueille également Catherine Zoritchak et ses recherches en thermoformage. La municipalité a facilité l'installation d'Eric dans la mesure où il travaillerait en public pendant les heures d'ouvertures. Clause peu encombrante pour l'artiste qui confie avec un peu de malice : «  Nous autres souffleurs, sommes un peu des singes de spectacle, c'est vrai que nous aimons de temps en temps être applaudis pour une belle pièce... »

Mais cette production, aussi agréable soit-elle, ne représente qu'une partie de son travail. Sa nature profonde et son émotion, il les exprime dans ses fameux graals, profondes coupes ornées de signes et de personnages qu'on croirait surgis de gravures rupestres. Elle sont, bien entendu, élaborées à l'abri des regards. Le graal, c'est la grande affaire des souffleurs de verre. Sa technique est complexe, son origine légendaire. « La technique du Graal est née en 1917, explique Eric à Orrefors, où j'ai reçu ma première formation avant de me rendre en Angleterre pour étudier la pâte de verre et au Japon comme instructeur. À l'époque, les verriers d'Orrefors étaient conscients de tenir quelque chose d'unique et de précieux. Ils cherchaient un symbole plus encore qu'un nom. Alors s'est imposé l'idée du Saint-Graal, ce vase en émeraude dont Jésus-Christ s'est servi pour la Cène et qui aurait recueilli son sang lors de la crucifixion. Les romans courtois du Moyen-Âge racontent sa quête allégorique par les Chevaliers de la Table Ronde. Appliqué en premier lieu au vase, le nom désigne aussi aujourd'hui la technique. »

Eric Lindgren Portrait

D'une façon schématique, le Graal consiste pour Eric à souffler deux boules, chaque fois recouvertes de verre transparent. l'une partant par exemple d'une ballotte de noir doublée de gris. L'autre formée de trois sous-couches de verre de couleur différente (jaune, rouge et noir). Maintenues à chaud, les deux boules sont placées tête-bêche. À l'aide de baguettes en bois, l'une est doucement ouverte et rabattue sur l'autre comme une chaussette. La pièce est mise à recuire. Refroidie, la pièce opaque est sablée avec des caches ou gravée selon le décor qui dégage les couches de couleur situées à l'intérieur. Dans une phase ultime, la pièce est réchauffée, recouverte de verre transparent et soufflée à sa taille définitive. Le décor ainsi emprisonné, grandit en même temps que le soufflage.« Avant la réalisation, précise Eric, je dessine tout : le thème que j'ai dans la tête, la superposition des couleurs. Ce n'est pas quand on a la pièce en fusion au bout de la canne qu'il est temps de se poser des questions. » Aussi fascinantes que peuvent être les techniques, le verrier ne veut pas en rester l'otage. «Elles sont là pour nous servir, affirme-t-il fermement, et pas l'inverse.

Cela ne me gène pas d'abandonner la canne et de couler du verre dans du sable, pour les besoins d'un trophée, comme celui que je crée pour Ariane Espace. Je me fais plaisir en soufflant de bons objets fonctionnels pour le décor de la table et suis capable de réaliser un vase parfait. Mais il m'arrive de le brutaliser à chaud avec la pince ou quelque autre système pour qu'il prenne un sens différent et une deuxième vie. C'est l’instinct de liberté que tout artiste doit préserver en lui-même. »Bien qu'ils soient captifs sous le verre, les décors des Graals – signes, animaux et personnages respirent la vie comme ces poissons qui nagent sous la glace ou ces marionnettes turbulentes du théâtre d'ombre. Ils font partie des racines de l'artiste, passionné par les « runes », caractères nordiques gravés du 13ème au 15ème siècle sur les rochers ronds et plats du bord de mer. Rébus, pictogrammes ou sentences, ces hiéroglyphes venus du froid racontent des histoires de chasseurs, de marchands partis pour l'orient sur leurs navires, de rois Ostrogoths livrant des batailles et aussi des paysans aux prises avec le quotidien difficile de travailler la terre.« J'y trouve de belles images, confit Eric Lindgren, des archétypes que j'utilise dans mes compositions où le violent s'oppose au sensuel évoquant les ambivalences qui existent en chacun de nous. Ces images m'aident à me retrouver moi-même. Je ne cherche pas à les situer dans l'histoire, j'en garde la poésie. »Malgré leur prix élevé, justifié par leur longue et difficile élaboration : tous les Graals qu'il crée sont acquis au fur et à mesure par des collectionneurs. Eric Lindgren n'arrive pas n'arrive pas à avoir assez de pièces pour constituer une véritable exposition comme le lui demande la Glass Galerie à Cologne ou l'Espai Vidre de Barcelone. « À trente-cinq ans, conclut-il avec regret, je suis un peu coincé par ma production. Je sens qu'il serait bon pour moi de donner du temps au temps. »

Colette Save                                                                                                             

Sur le chemin des

verriers

De sa Scandinavie natale, Eric Lindgren a gardé un léger accent suédois. Sa quête de lumière l'a conduit à voyager. Grâce à elle, le verrier venu du fond a rejoint le sud de la France.

 

  1. Eric Lindgren pulse son inspiration dans les gravures rupestres pour ses vases soufflés qu'il réalise avec la technique du Graal.

  2. Striée d'un graphisme léger, la ligne spirale est une gamme fraiche et colorée de vases, coupes et saladiers au design discret.

  3. Rehaussée d'un fin liseré ou décoré de points, cette coupelle aux lignes pures complète la gamme Ondine.

1 et 2. Graal vase

soufflé avec décor

écailles réalisé en

technique du Graal.

 

3. Les K.Bossus sont
des verres soufflés
modelés à chaud.

 

4. Les verres gobelets
Clair de Verre se
déclinent en huit
couleurs.

 

Dans l'esprit de la quête allégorique du Graal, Eric Lindgren a toujours cherché à se perfectionner. Après deux ans de formation à l'école du verre à Orrfors, il a étudié la pâte de verre en Angleterre avant de se rendre au Japon comme formateur. Aujourd'hui il accueille des stagiaires au sein de son atelier de fabrication artisanale. « Tous les jours, j'apprends en regardant, en enseignant. Car les jeunes qui viennent en apprentissage créent une sinérgie, une dynamique », estime-t-il.

La diversité de ses créations, la pureté des lignes et l'éclat des couleurs de ses collections séduisent les connaisseurs de toute la France et du monde entier. La vente au showroom de l'atelier représente 20% de la production. Le reste est diffusé à part égale en France et à l'étranger. Les habitants de New-York, Tokyo, Londres, Hong-Kong ont déjà été séduits. Eric Lindgren regarde à présent vers la Chine où il espère bientôt exporter.

 

Nadine Champenois

Photos Laurent Locurcio

Eric Lindgren exprime l'autre facette de sa personnalité émanant de ses racines en créant ces fameux Graals. Ce sont de grands vases ornés de motifs inspirés des dessins rupestres. C'est à Orrfors, en Suède où il a reçu sa première formation, que cette technique est née. Les pièces sont soufflées puis sablées, et soufflées encore une fois.

La technique du Graal

Article-Art-&-Deco-Eric-Lindgren

Sur la scène, les ombres dessinées sous la chaleur du four se croisent, tournoient : le ballet des souffleurs de verre a commencé. Entre le four et l'arche de refroidissement, « tout tourne autour de la passion du verre », comme aime le souligner Eric Lindgren. Mais le contraste ne s'arrête pas là ; c'est avec des pas de danseur que ce solide Scandinave glisse d'un poste à l'autre de l'atelier.

L'équipe de l'atelier de fabrication artisanale travaille en effet en public pendant les heures d'ouverture. Le monde opératoire, mille fois répété, de la fabrication d'une pièce imprime sa cadence et un rythme soutenu, car le verre est capricieux (en dessous de 500°C il casse). Il faut aller vite, les gestes sont précis. La dextérité et la virtuosité de l'artiste font oublier les difficultés. D'ailleurs, « si c'était facile, ce ne serait pas si interessant », sourit le maître verrier. Pour celui-ci, ce sont les difficultés rencontrées qui l'obligent à chercher, à se renouveler, à trouver des solutions. Loin de se laisser enfermer par les contraintes techniques. Il cherche à libérer son instinct créatif.

Un art ancéstral au service de la modernité

De la même manière pour eric Lindgren, l'art du verre ne doit pas rester
cantonné aux pratiques traditionnelles. e verre, par ses jeux de lumière, se
prête particulièrement au design contemporain, à l'image de ce que l'on rencontre
dans les pays scandinaves. « La perception de l'art du verre en Scandinavie n'est
pas la même qu'en France. Ici, on cherche des lampes ou des objets à exposer. L'idée
d'acheter un bel objet pour la vie quotidienne n'est pas ancrée » regrette-t-il. Ainsi, une
partie de sa création est déclinée à travers des objets usuels, comme ces verres gobelets
aux couleurs vives et acidulées.

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